UBÉRISATION : Mettre l’humain au cœur des choix

Ce mardi 29 novembre s’est tenu, dans la Salle Colbert de l’Assemblée Nationale, un colloque organisé par M. le Député Laurent Grandguillaume sur le thème « Ubérisation / Mettre l’humain au coeur des choix« . La veille de la présentation de « sa » proposition de loi devant la Commission Mixte Paritaire, il a ouvert le débat sur la notion « d’ubérisation ».

« Face aux forces d’opposition à la loi que je défends, il est temps pour moi de reprendre ma plume. Lorsque j’ai commencé ma mission à la demande du Premier Ministre Manuel Valls suite au conflit des taxis en janvier 2016, je me rappelle cet échange vif sur Twitter avec le responsable d’Uber d’Europe car j’avais osé parler de « paupérisation » des chauffeurs. J’avais osé affirmer que ma seule préoccupation était la protection des consommateurs et des chauffeurs face à certaines plateformes qui veulent imposer un état de fait à l’État de droit, une forme de Far West technologique. J’avais osé tout simplement mettre des mots sur des maux. »

C’est ainsi que, dans son blog, le Député Laurent Grandguillaume proposait, il y a un mois, d’organiser un colloque « ouvert à tous » en invitant pour débattre sur ce thème :

  • Monsieur Patrick Levy-Waitz, expert en accompagnement humain du changement, spécialiste des enjeux managériaux et sociaux. Il dirige le groupe ITG, spécialiste du portage salarial ;
  • Monsieur Denis Jacquet, co-fondateur de l’Observatoire de l’Ubérisation (l’économie qui prend en compte l’effet Uber). Une vision alternative et libérale mais anti-hyper-capitaliste ;
  • Madame Marylise Léon, secrétaire nationale en charge notamment du numérique ;
  • Monsieur Patrick Liébus, Président de la CAPEB, organisation professionnelle représentative des 350 784 entreprises artisanales du bâtiment ;
  • Monsieur Stéphane Marchand, Délégué général d’Entreprise & Progrès, une association qui réclame une place centrale pour l’homme dans la gestion des entreprises ;
  • Monsieur Sayah BAAROUN, Secrétaire général du syndicat SCP-VTC (Unsa).
« L’ubérisation », qu’est-ce que cela signifie ?

« C’est la survenance d’amateurs dans le monde professionnel », propose Marylise Léon.

Et si l’immersion dans le numérique est un phénomène irréversible, Madame Léon tient à rappeler que ce phénomène impacte au moins quatre secteurs :

  • les banques et assurances (notamment grâce aux comparateurs, banques en ligne ou compte-Nickel ouverts dans les bureaux de tabacs),
  • la Poste qui, depuis l’arrivée d’Internet, a perdu son monopole dans la distribution des courriers,
  • les plateformes numériques elles-mêmes : se confrontent celles qui visent à faciliter la vie des entreprises ou le télé-travail et celles qui ont modifié les relations de travail en les remplaçant par des relations contractuelles,
  • le transport urbain.

Le développement du numérique a entraîné une transformation profonde de « l’emploi », qui n’a malheureusement pas été accompagnée. Et beaucoup de plateformes – comme Uber – fonctionne sur le principe du « fait accompli » en imposant une stratégie propre, méprisant les règles sociétales et légales des pays où elles s’installent.

Patrick Liébus a tenu à préciser qu’il n’y a pas eu transfert du salariat classique vers le statut de travailleur indépendant, car ces plateformes procèdent par l’aliénation des acteurs professionnels qui deviennent des « faux indépendants », soumis à des règles et des contraintes fixées unilatéralement par ces plateformes. D’où le développement de la fameuse précarisation qu’ont stigmatisée les acteurs du transport.

Pour Monsieur Marchand, pourtant, cette révolution numérique n’est qu’une première étape à une évolution plus profonde de notre société : celle du « Big data » et des « objets connectés » qui, bientôt, viendront impacter l’ensemble de l’économie – même celle collaborative. Et d’interroger la salle sur la réflexion suivante : « Pour une entreprise qui valorise avant tout les hommes et les femmes qui y travaillent, quelle est la finalité de la transition numérique ? Innovation, dialogue social : que faut-il changer ? »

Monsieur Levy-Waitz a souhaité sensibiliser sur ces nouvelles formes d’emploi « hybrides » (entre l’entreprenariat et les statuts de salarié) comparables au portage salarial : « On voit émerger une nouvelle catégorie d’ »entrepreneurs de soi » qui explose au sein des indépendants, avec à la fois la volonté d’avoir une sécurité juridique, un accompagnement et une autonomie. »

Changement de ton avec Monsieur Denis Jacquet qui a tenu à rappeler que si le choix « des politiques » était le refus du monde digital (en tentant de le canaliser, de le réguler ou encore de le contrôler) sous prétexte de protéger la société contre le « chômage » et la « paupérisation », il convenait de rappeler que les 2 170 milliards de dette de notre pays étaient de la responsabilité de 40 ans de politique totalement désastreuse, « d’intellectuels » qui ne connaissent ni le monde du travail, ni le monde de l’économie, et encore moins la société dans laquelle nous vivons tous. « L’économie collaborative mérite qu’on l’observe plutôt qu’on l’interdise. »

Et si on ne peut pas contester qu’il conviendra de responsabiliser les plateformes dans l’évolution du droit social, peut-être serait-il plus honnête de responsabiliser les consommateurs dans leur mode de consommation. Et de conclure : « Quelle société voulons-nous ? »

Monsieur Sayah Baroun, représentant de UNSA-VTC, a tenu à rappeler ce qu’avait été le développement d’Uber en France : en 2012, la start-up proposait aux chauffeurs VTC de s’inscrire en leur garantissant un chiffre d’affaires – souvent compensé par la plateforme – et une augmentation constante de leurs bénéfices. Après les VTC, Uber a permis au « tout-venant » de s’inscrire pour faire le « chauffeur occasionnel », et – alors que de nombreux chauffeurs VTC avaient investi pour s’installer – à commencer à casser les prix en imposant un « forfait » dérisoire. Il a précisé également que le contrat qui liait Uber aux chauffeurs imposait à ces derniers de rester engagés pendant plusieurs années sous peine de sanctions financières, et de faire un chiffre d’affaires minimum qui les contraint aujourd’hui à travailler presque 70 heures par semaine.

L’ubérisation n’est pas une « évolution » numérique : elle est de l’esclavagisme moderne qui conduit certains à accepter des conditions plus que précaires, en imaginant un avenir radieux promis par Uber.

Invité à prendre la parole, le Président Alain Griset a tenu à rappeler certains points :

  • Que « l’ubérisation » ne met pas en concurrence différents modes d’exploitation : salariat / auto-entrepreneurs / entreprises… mais bien, des acteurs qui travaillent régulièrement, payent des charges sociales et fiscales, contre des « voyous » qui s’exonèrent de toutes obligations financières ;
  • Que s’il y avait une réelle réflexion politique, elle devrait concerner une harmonisation des règles : un seul statut de salarié, un seul statut d’entrepreneur, et tous soumis aux mêmes contraintes sociales et fiscales.

Et le Président Griset de rappeler : « Je propose régulièrement au Gouvernement que l’ensemble des artisans et commerçants s’exonèrent des charges sociales et fiscales ; ils seront ainsi aussi compétitifs que ces plateformes. Mais, il conviendra de faire preuve d’honnêteté envers les citoyens et de leur dire que dorénavant, ils devront payer les frais de scolarité de leurs enfants, l’hôpital, les services publics, l’entretien du domaine public… »

Aya ASSAS
Author: Aya ASSAS

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